Dix nouveaux génomes de plantes éclairent l’évolution de la symbiose fixatrice d’azote

Plusieurs chercheurs du Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales (LRSV – UMR 5546 CNRS/UPS), unité constitutive du Labex TULIP, et de 12 autres institutions publiaient en mai 2018 un article dans la revue Science. En comparant 37 génomes de plantes dont 10 nouvellement séquencés, ils y révèlent la fragilité de la symbiose fixatrice d'azote.

La symbiose fixatrice d'azote

L’ajout d’engrais azoté représente un des coûts, écologique et économique, les plus importants de la culture des céréales. Au contraire, les légumineuses comme le haricot ou le soja obtiennent l’azote dont elles ont besoin via des bactéries du sol qui s’associent à leurs racines. Ces bactéries sont capables de transformer l’azote gazeux présent de façon inépuisable dans l’air en une forme chimique utilisable par les plantes, un processus appelé fixation de l’azote qui a lieu au sein de racines modifiées appelés nodules. L’association formée entre ces bactéries et les légumineuses tire son nom de ce processus, on parle de la symbiose fixatrice d’azote.

Cette symbiose présente un avantage écologique très important en permettant aux légumineuses de survivre dans des habitats très pauvres en azote. Étant donné cet avantage significatif, il peut paraitre étonnant que seules les légumineuses et quelques rares espèces chez leurs proches parentes des ordres des Fagales, Rosales et Cucurbitales, aient évolué la capacité de former cette symbiose.

Une énigme vieille de plusieurs décennies

Pour résoudre cette énigme, un consortium international regroupant treize institutions de huit pays, coordonné par Shifeng Cheng du Beijing Genomics Institute (Shenzhen, Chine), Martin Parniske de l’Université de Munich (Allemagne) et Pierre-Marc Delaux (CNRS / Université de Toulouse) a séquencé les génomes de dix espèces de plantes capable ou non de former cette symbiose, appartenant aux légumineuse et aux Fagales, Rosales et Cucurbitales. Une fois séquencés, ces génomes ont été comparés avec ceux de 27 autres plantes déjà disponibles.

De façon stupéfiante et contre intuitive, ces comparaisons ont montré que la symbiose fixatrice d’azote a été perdue chez de multiples espèces, incluant des espèces d’intérêt agronomique comme la pomme ou la fraise. En faveur de cette conclusion, on retrouve un gène, appelé NIN, qui avait été précédemment identifié pour son rôle essentiel dans le processus symbiotique. Ce gène est retrouvé dans tous les génomes des plantes capables de former la symbiose fixatrice d’azote. Par contre, la majorité des autres espèces de légumineuses, Fagales, Cucurbitales et Rosales incapables aujourd’hui de former cette symbiose ne possèdent que des fragments de NIN ou l’ont complètement perdu.

Evolution de la symbiose fixatrice d’azote
La symbiose fixatrice d’azote est présente chez quelques espèces de Fabales, Fagales, Cucurbitales et Rosales. La distribution de cette symbiose peut être le résultat d’un gain chez l’ancêtre commun à ces espèces suivis de multiple pertes ou de gains multiples. La deuxième hypothèse était jusqu’à aujourd’hui favorisée. Dix nouveaux génomes ont été séquencés et comparé à 27 autres génomes. Les espèces ne formant pas la symbiose présentent des signatures génomiques indiquant la perte de cette symbiose, validant ainsi l’occurrence de multiples pertes au cours de l’évolution.

Ce résultat publié dans la revue Science indique que cette symbiose peut présenter un désavantage dans certains habitats et donc être perdue. Afin d’expliquer cette perte dont la raison reste inconnue, une hypothèse avancée par les auteurs est que d’autres bactéries du sol, non symbiotiques, pourraient parasiter les plantes en « piratant » la symbiose. Dans ces conditions, perdre cette symbiose apporterait un avantage sélectif.

Au-delà de cette implication évolutive, ce résultat présente un autre enjeu majeur : le transfert de cette symbiose aux céréales. Partout autour du monde, des équipes de chercheurs multiplient les efforts pour rendre les céréales - qui représentent la majorité des cultures à l’échelle mondiale - capables de faire cette symbiose. De tels efforts doivent maintenant prendre en compte la fragilité potentielle de ce processus biologique.

Voir aussi

M. Griesmann, Y. Chang, X. Liu, Y. Song, G. Haberer, M. B. Crook, B. Billault-Penneteau, D. Lauressergues, J. Keller, L. Imanishi, Y. P. Roswanjaya, W. Kohlen, P. Pujic, K. Battenberg, N. Alloisio, Y. Liang, H. Hilhorst, M. G. Salgado, V. Hocher, H. Gherbi, S. Svistoonoff, J. J. Doyle, S. He, Y. Xu, S. Xu, J. Qu, Q. Gao, X. Fang, Y. Fu, P. Normand, A. M. Berry, L. G. Wall, J-M. Ané, K. Pawlowski, X. Xu, H. Yang, M. Spannagl, K. F. X. Mayer, G. K. Wong, M. Parniske, P.-M. Delaux, S. Cheng (2018) Phylogenomics reveals multiple losses of nitrogen-fixing root nodule symbiosis. Science. PMID:29794220. DOI:10.1126/science.aat1743

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 04 juin 2018 | Rédaction : Pierre-Marc Delaux & Guillaume Cassiède-Berjon