Hirondelle à front blanc

Les écueils de la statistique écologique

Peut-on hériter des préférences comportementales de ses parents en matière de choix de compagnon ? Qu’est-ce qui pousse les animaux à s’agréger ou au contraire à s’installer loin de leurs congénères ? Ce trait comportemental est-il héritable ? La génétique quantitative a mis au point de nombreuses méthodes statistiques pour mesurer l’héritabilité d’un caractère. Une publication impliquant le laboratoire EDB (UMR 5174 UPS/CNRS/ENFA) dans les Scientific Reports du groupe Nature vient de révéler les écueils d’une méthode pourtant quasi universelle...

Il est des dogmes en matière de science comme il en est dans d’autres domaines. Une des techniques statistiques les plus utilisées afin de déterminer l’héritabilité d’un trait donné, vient de trouver ses limites. Un groupe de chercheurs a utilisé des simulations informatiques s’affranchissant de toutes observations ou données expérimentales pour étudier les conséquences de la plus classique des méthodes utilisée pour l’estimation de l’héritabilité, à savoir celle des adoptions croisées, ou « Cross fostering ».

Les simulations se basent sur une des plus ambitieuses mesures expérimentales de l’héritabilité de traits comportementaux jamais effectuée dans la nature : en l’occurrence la préférence pour la taille du groupe dans lequel s’installent les hirondelles à front blanc. Sur le terrain, afin de déterminer si un trait est héritable, à l’instar du film « La vie est un long fleuve tranquille », les scientifiques inter-changent des poussins de différentes colonies. Ceux issus de grandes colonies sont ainsi placés dans des petites et inversement. Si après au retour de migration, ils reviennent se reproduire l’année suivante dans une colonie de taille semblable à celle de leur naissance (et non de leur adoption), on serait tenté d’en déduire qu’une préférence est transmise d’une manière génétique des parents aux enfants.

Chez l’hirondelle à front blanc américaine, la taille des colonies varie de quelques couples à plusieurs milliers. Le parallèle avec les humains est aisé et pourrait se poser en ces termes : les gens ont-ils tendance à s’installer dans des agglomérations de taille semblable à celles où ils sont nés ? Cela indiquerait-il pour autant l’existence d’un caractère génétique ? Rien n’est moins sûr, d’autant plus que comme le montre les auteurs de la publication, la méthode expérimentale utilisée comporte deux écueils.

Le premier est appelé « régression vers la moyenne ». Les individus adoptés dans des groupes de taille extrême, soit les très grandes soit les très petites colonies, auront statistiquement tendance à revenir s’installer dans un groupe de taille plus proche de la moyenne, donc plus proche de celle de leur groupe d’origine familiale, simplement parce que les colonies de taille moyenne sont les plus fréquentes. Une image est celle d’un paysage avec des reliefs. Un individu né au fond de la vallée et adopté au sommet d’une montagne, s’il se déplace depuis son lieu d’adoption ne pourra que descendre vers la vallée, donnant l’impression qu’il revient vers les caractéristiques propres à son lieu de naissance. Cette impression est fausse car elle résulte seulement de la contrainte exercée par le relief. De même, si on faisait un tirage aléatoire des lieux d’installation, comme les sites d’altitude moyenne sont beaucoup plus nombreux, on aura également la même impression, infondée, de retour vers les caractéristiques du lieu de naissance.

Le second écueil résulte du fait que les individus n’ont pas les mêmes options selon leur lieu d’adoption. Encore une fois, il en va chez les oiseaux comme il en va chez les humains. Dans le cas de colonies comme d’agglomération humaines, celles de grandes tailles auront tendance à être entourées de petites et inversement. Or comme la probabilité de s’installer dans une ville (ou colonie) donnée décroit avec la distance depuis le point de départ, les chances de s’installer dans une ville de grande taille alors que l’on est soi-même issu d’une ville de grande taille, donc entourée de petites, ne sont pas les mêmes que celles de s’installer dans une petite, bien plus fréquente dans le voisinage immédiat d’une grande. Si, par souci de simplification des analyses statistiques, on postule que la probabilité de s’installer dans un lieu donné est indépendante du lieu de départ, dans certains cas comme celui-ci, ce présupposé ne peut être opéré.

Les simulations ont montré que sous l’effet conjugué de ces deux biais, des individus dénués de toute préférence spécifique pour des tailles de colonie données et se déplaçant de manière aléatoire, s’installent dans des colonies de taille plus proches de celles de leur naissance que de celles de leur lieu d’adoption, donnant l’illusion de l’existence d’une héritabilité dans la préférence de taille de colonie d’installation. Les chercheurs remettent donc en cause le fait que ce trait de caractère soit héritable et suggèrent que toute estimation d’héritabilité ne corrigeant pas ces biais sera sujette à caution. Les simulations ont aussi montré qu’une expérience d’adoption dans un seul et même lieu sera plus robuste à ces deux biais et donc davantage fiable. Une conclusion d’importance car ces deux biais sont présents dans de nombreux domaines scientifiques… dont la médecine.