modélisation protéine

La partie émergée de la symbiose

Il est un vieux rêve poursuivi par de nombreux chercheurs végétalistes : conférer aux plantes qui en sont initialement dépourvues la capacité d’établir des symbioses. Sous le terme de « symbiose », se cachent ici des interactions entre une plante et des microorganismes du sol, bactéries ou champignons. L’intérêt ? Les plantes utiliseraient alors l’air comme engrais ou, plus exactement, l’azote, le fameux « N » des engrais NPK, composant plus de 78% de l’air que nous respirons. Les problèmes qui se posent cependant pour déchiffrer puis reproduire un tel mécanisme sont multiples. Premier obstacle et point de départ de la symbiose côté plante, il faut que cette dernière détecte les molécules émises par ses potentiels partenaires. Or, c’est justement sur ce dernier point qu’une avancée prometteuse vient d’être réalisée par J-J Bono et ses collaborateurs au sein du LIPM (INRA / CNRS)…

Plus de 20 ans de travaux pour la découverte d’un « petit » récepteur. Petit, certes mais avec un grand rôle : ce récepteur constitue justement l’étape clef qui, en interagissant avec les molécules signaux envoyées par les bactéries ou champignons, symbiotes potentiels de la plante, permet à la plante de reconnaître ces derniers.

Au début de cette aventure, en 1999, des milliers de candidats potentiels, correspondant ni plus ni moins qu’à l’ensemble des protéines présentes dans la cellule… Les chercheurs sont frappés d’une évidence : en mettant en présence les signaux (facteurs Nod) émis par les microorganismes et un broyat de cellules, les premiers se lient à un unique élément, toujours le même, des seconds. Preuve s’il en est que ces signaux sont bien détectés par une molécule précise, une protéine de la plante. Grâce à des outils élaborés par des chimistes des sucres, le poids du suspect a tout d’abord été établi : 100 kDa, un véritable « poids moyen » ne permettant de discriminer cette dernière et de l’isoler avec certitude. Cette tentative aurait pu s’arrêter là, si plusieurs évolutions technologiques ne s’étaient alors rapidement succédées.

En effet, les progrès de la protéomique et de la transcriptomique (analyses à grande échelle des protéines et des gènes transcrits) ont permis en seulement 6 mois de faire émerger un nombre restreint de molécules… Peu de temps après, les chercheurs s’arrêtent finalement sur « LYR3 » une protéine enchâssée dans la membrane, critère de position essentiel pour un tel récepteur. Afin de vérifier ces allégations, quoi de plus formel que d’intégrer cette fameuse LYR3 dans un végétal jusqu’alors incapable de recourir de manière naturelle à la symbiose ? Des plants de tabacs, plantes cobayes ainsi modifiés sont effectivement devenues capables d’établir une liaison avec les fameux « signaux ».

Dans l’ensemble du processus qui mène à l’établissement des symbioses, une étape clef, celle de l’identification d’une protéine reconnaissant les signaux des micro-organismes amis vient donc d’être franchie. Cette découverte s’ajoute à celle d’autres récepteurs de la même famille, indispensables pour l’établissement des symbioses, mais qui, à l’opposé, ne sembleraient pas interagir physiquement avec ces mêmes signaux. L’identification de la partie émergée de l’iceberg dessine peu à peu une piste qui pourrait un jour mener à ce vieux rêve « moléculaire » des biologistes, étendre les capacités de symbioses à de nombreuses plantes…

Voir aussi

Fliegmann J, Canova S, Lachaud C, Uhlenbroich S, Gasciolli V, Pichereaux C, Rossignol M, Rosenberg C, Cumener M, Pitorre D, Lefebvre B, Gough C, Samain E, Fort S, Driguez H, Vauzeilles B, Beau JM, Nurisso A, Imberty A, Cullimore J, Bono JJ. Lipo-chitooligosaccharidic Symbiotic Signals Are Recognized by LysM Receptor-Like Kinase LYR3 in the Legume Medicago truncatula. ACS Chem Biol. 2013 8: 1900-1906